dimanche 27 avril 2014

Dans la cour [c'est sorti !]





ATTENTION : si tu n'as pas vu «Dans la cour» de Pierre Salvadori avec Catherine Deneuve et Gustave Kervern, ne lis pas cet article, je vais y révéler l'intrigue. Te voilà prévenu !


Ici : tu peux voir le trailer et la bande annonce, si tu veux.


Au début du film, Gustave Kervern est visiblement chanteur de rock ou quelque chose du genre puisque la scène d'ouverture se situe dans une loge qu'il refuse de quitter parce qu'il n'arrive plus à dormir. Il plante donc là la foule qui attend impatiente dans la salle et le concert qui devait avoir lieu et s'en va.

On le retrouve plus tard dans une sorte d'agence d'intérim qui lui propose un poste de concierge qu'il va donc décrocher. Puisque le film s'appelle «dans la cour», on avait deviné ! Voici donc Antoine projeté dans ce petit univers d'un immeuble privatif avec son lot de propriétaires exigeants. Il a pour mission de s'assurer de la bonne tenue de l'ensemble ce qui inclut un peu de ménage et beaucoup de relations humaines.

Il n'est toujours pas au top de sa forme, il boit pas mal de bières, sniffe régulièrement une poudre un peu ocre qui n'est jamais nommée et continue surtout de ne pas dormir du tout. Je n'ai pas l'œil rivé sur la montre quand je suis au cinéma, je m'en excuse. Mais, au jugé, je viens de voir défiler la première demie-heure du film et je ne sais toujours à peu près rien du personnage principal.

Il était chanteur, il a visiblement mis fin à sa carrière. Il est insomniaque, il est devenu concierge et il prend de la drogue. Bon, c'est sans doute un peu triste tout ce qu'il lui arrive, dans l'absolu, mais en tant que spectateur, j'en suis toujours à me demander pourquoi on a décidé de me raconter ça. Quelle est la motivation de cette personne ? Pourquoi ne dort-il plus puisque cela semble être le problème majeur de son existence ?

Je ne sais pas.

Je regarde, j'assiste à une suite de scènes amusantes ou tristes, je constate les avancées narratives mais je ne sais toujours pas à quoi les raccrocher. Je constate que Catherine Deneuve, une des propriétaires de l'immeuble, ne va pas bien non plus, s'angoisse pour tout et pour rien. J'observe l'évolution de sa relation avec le concierge, avec son propre mari et avec le monde en général mais encore une fois, je suis assis dans une salle de cinéma et je ne comprends pas la motivation qui soutient l'ensemble.

Les acteurs sont absolument parfaits à commencer par Catherine Deneuve qui est d'une justesse époustouflante. Elle est. Ça ferme toute question. Dès son apparition, elle t'embarque à la suite de Mathilde comme si elle avait réellement été cette personne depuis des dizaines d'années. Gustave Kervern est prodigieux dans son économie de jeu, sublime dans sa frugalité d'expression qui servent idéalement le personnage. Il incarne avec la concision adéquate ce gars un peu ours, aussi pataud que plantigrade.

Je n'ai pas assez de connaissances en la matière pour jauger de la réalisation mais, si ça n'a pas l'air d'être filmé et dirigé par un manchot, il y a un sérieux problème avec le scénario, voire un nombre d'incohérences que je ne peux m'empêcher de relever et qui empêche mon empathie pour les personnages. Citons quelques exemples :

L'un des propriétaires demande au gardien de bien vouloir régler le problème des vélos qui s'entassent dans la cour. Le concierge est bien entendu incapable de solutionner quoique ce soit et aucune action n'est réellement entreprise pour faire disparaitre cet amoncellement de bicyclettes. Pour autant, le même propriétaire, malgré cet ennui auquel s'ajoute une histoire de chien qui aboie et perturbe ses nuits, conserve exactement les mêmes relations cordiales avec le cerbère de l'immeuble. Il ne se fâche pas, ne râle jamais contre l'échec de sa demande, il continue simplement la même relation uniforme. 

Et il va même, plus tard, jusqu'à lui confier la garde de la précieuse maquette de son projet d'urbanisme qu'un coursier doit passer prendre quelques jours plus tard. Pardon mais à ce point de l'histoire et face au constat de l'incompétence notoire de son gardien d'immeuble, il est tout à fait inconcevable qu'il lui confie quoique ce soit. De mon point de vue, il devrait être pour le moins un tout petit peu en colère de ne voir aucune de ses demandes satisfaites. Non ?

Et puis, pendant que j'y suis, à quel moment le scénariste m'a-t-il informé que ce propriétaire exerçait en tant qu'architecte ? Soudain, il débarque à la porte de la loge avec sa maquette en carton et, soit ça tombe comme un cheveux sur la soupe, soit tu es un spectateur un tout petit peu futé et tu comprends tout de suite que ce projet immobilier n'a pas pour destin de rester entier et intact. Ce qui, du coup, est scénaristiquement un peu tiré par les cheveux sur la soupe.

Et puis, pardon, mais s'il est finalement architecte ce voisin, pourquoi n'est-ce pas lui que vient consulter Catherine Deneuve quand elle est si préoccupée par la fissure du mur de son appartement ? Le premier réflexe de n'importe quelle personne dans un immeuble n'est-il pas d'abord de solliciter son entourage proche ? Si tu connais Pierre Salvadori, tu peux lui poser la question, s'il te plait, ça m'intéresserait d'en discuter avec lui.

Et puis, encore, je ne peux m'empêcher de constater durant le film que soudain, Antoine, le personnage de Gustave Kervern, se remet à dormir. Et pourquoi ? Le scénariste avait choisi jusque là, de faire de cette insomnie, la seule motivation du personnage et voilà que, comme ça, sans prévenir, sans le souligner, cet élément disparait. Je ne saurais donc jamais pourquoi il était devenu insomniaque ni pourquoi il a regagné le sommeil. Je reste avec ma frustration, comme un con de spectateur oublié dans la salle.

Pas plus que je ne saurais qui est cette femme qui débarque vers la fin du film et qui reconnait Antoine, occupé à sortir les poubelles. J'ai bien conservé en mémoire qu'il était au début dans le spectacle et je vais supposer que ce personnage féminin se rattache à cet univers mais c'est moi qui invente. Le scénariste a du oublier de me raconter ça et personne n'a osé le lui faire remarquer.

Pierre Salvadori qui a écrit ça donc, David Colombo-Léotard le co-scénariste et même le «consultant au scénario» (qui figure au générique de fin mais dont je n'ai pas noté le nom !) n'ont pas jugé utile de penser à mon petit cerveau de spectateur. Eh ! Je suis venu au cinéma pour qu'on me raconte une histoire ! Or, même si c'est bien filmé, même si c'est merveilleusement interprété (bisous à Catherine Deneuve !), «Dans la cour» est une suite de scènes bien écrites et mises en scène mais auxquelles il manque un récit cohérent !



[ATTENTION : je raconte la fin du film juste après cet avertissement]



Et puis, la chute finale : le concierge qui meurt d'une overdose dans sa douche, là, je dis non ! Tout le parcours du personnage, du moins ce que j'ai pu en deviner, m'indique qu'il va vers du mieux. Il a retrouvé le sommeil et cette femme supposément de sa vie d'avant, il lui a avoué sa honte d'avoir disparu (mais toujours pas expliqué pourquoi, ce qui rend donc cette scène inutile !),  il n'a aucune raison logique de passer du snif à la seringue. Aucune.

Ça ressemble juste à une fin posée là parce qu'il en faut bien une mais elle ne concorde ni avec le récit ni avec les ressorts du personnage d'Antoine. Bref, je me demande si c'était bien la peine de se mettre à trois pour bâcler un tel scénario. Il y a de bonne idées, de bons dialogues, il y a de jolies scènes réussies et d'autres qui, sans être ratées, ne sont simplement pas exploitées comme il le faudrait (la réunion des propriétaires dans la cour dont les quarante acteurs réunis là ne servent à rien parce que leur rôle n'est simplement pas écrit ! Ils ne font rien, ne disent rien !).

Grâce aux acteurs, j'ai tout de même passé un bon moment (bisous à Gustave Kervern), j'ai été touché et ému mais aussi occupé une bonne partie de la séance à compter les pistes inexploitées de la narration. Le récit est raté, mal structuré, brouillon et inabouti. Les personnages, sauvés par le jeu des acteurs, ne sont aucunement définis et restent flous.

Comme depuis des dizaines d'années dans le cinéma français, on nous vend un film sur l'affiche et le «name droping». On oublie de travailler en amont sur l'ossature du scénario. Mais quel dommage, le thème de «Dans la cour» méritait mieux que cet inachevé !

Je ne voudrais pas décourager les vocations de cinéastes mais je vais quand même rappeler que pour faire un bon film, il faut réunir, au minimum, trois ingrédients : un bon scénario, de bons acteurs et un réalisateur pour capter tout ça. Or, il manque ici, pour le moins, un des trois ingrédients pour que la sauce prenne.


Nota benêt : les trois quart des critiques
lues après cette projection, semblent ne pas avoir
les outils pour juger un film et l'ont donc trouvé plutôt bon.
Ceci explique peut-être cela quant à l'état du cinéma français…