dimanche 25 janvier 2015

Je suis Charlie […ou pas !]

Suite aux attentats qui ont eu lieu à Paris entre le 7 et le 9 janvier 2015, nous avons assisté, le dimanche 11 janvier, à une manifestation d'ampleur inégalée. Le rassemblement, sans aucun slogan et sans autre mot d'ordre que «Je suis Charlie», a rallié quelques 4 millions de personnes à travers la France.  En marge, quelques uns ont refusé de se solidariser avec ce mouvement et ont tenté de faire entendre un autre message.
 
Pour revenir sur ces faits, j'ai demandé à Hélène Romano, docteur en psychopathologie qui tient une consultation spécialisée en psychotraumatisme, de répondre à quelques questions. Elle a accepté gentiment, ce dont je la remercie. 
 
 
Au surlendemain des drames intervenus à Charlie Hebdo, Montrouge, Dammartin-en-Goële et à l'Hypercasher de la porte de Vincennes, on a assisté à une manifestation d'une ampleur inégalée. Comment comprendre cette réaction populaire dont on peut remarquer l'absence de slogan fédérateur ?
Hélène Romano : les attentats ont touché des civils dans un contexte de paix ; ils ont inévitablement une dimension effrayante et bouleversante contrairement à des faits similaires exécutés dans des pays en guerre. L’ampleur des réactions s’explique en partie par un processus d’identification projective, chacun s’étant senti en danger.
La manifestation du dimanche a eu une dimension de rituel collectif avec une apparence de cohésion ; «apparence» car au final, les motivations de manifester étaient multiples : certains le faisaient pour rendre hommages aux morts, certains par adhésion communautaire, certains pour la liberté de la presse, d’autres parce qu’ils sentaient que ça allait être un moment historique et qu’il fallait y aller, certains en soutien aux familles endeuillés, d’autres pour ne pas être assimilés à des extrémistes islamistes, etc.
Derrière le slogan «tous Charlie» la cohésion était surtout assurée par cette expérience commune d’effroi face aux événements.
 
Face à cette communion nationale #JeSuisCharlie du 11 janvier, apparait un contre mouvement, notamment sur internet, qui prétend s’identifier aux terroristes. Comment l’interpréter selon vous ?
Hélène Romano* : Lorsqu’un mouvement tend à uniformiser des réactions, cela provoque inévitablement des réactions de défense de ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’injonction collective, d’où «je ne suis pas Charlie» pour bien marquer sa différence et sa défiance face à un mouvement général dont ils se sentent rejetés.
Le fait que certains, au final très minoritaires, s’identifient directement aux terroristes, nous rappelle que lorsqu’une personne vulnérable se sent rejetée, le risque est majeur qu’elle ne tente de retrouver du réconfort du coté des extrêmes.
L’importance serait d’essayer de comprendre les réels motivations de ces «je ne suis pas Charlie» et de limiter ces vécus de persécutions et d’incompréhension qui clivent chaque jour davantage la population française.
 
Dans ce contexte, faut-il donc entendre «Je ne suis pas Charlie» comme une sorte d'appel au secours, une demande d'attention ?
Hélène Romano : C’est probable. Il y a toujours un décalage entre ce qui est donné à voir et à entendre (ce qui est manifeste) et ce que cela signifie de façon plus inconsciente (plainte latente). Ne répondre que par la sanction et le registre répressif ne résoudra pas la question posée sur l’identité des jeunes aujourd’hui mais également sur l’identité professionnelle des enseignants et les interrogations des parents sur leur fonction parentale.
 
Je suis frappé par l'injonction de silence qu'on oppose à ce refus de faire partie de l'unanimité. Est-ce, selon vous, une parole que nous devrions laisser s'exprimer ?
Hélène Romano : Une parole non exprimée conduira inévitablement à des passages à l’acte… Il ne faudrait pas avoir peur du débat, permettre à ces jeunes de décrypter le sens de ce qu’ils disent pour avoir un jugement critique (idem pour les adultes).
Les jeunes pointent les contradictions des adultes et leurs injonctions paradoxales : «tous Charlie» au nom de la liberté d’expression, ils s’expriment et on leur dit que ce qu’ils disent n’a aucune valeur. Comment des jeunes adolescents peuvent ils le comprendre autrement que comme un rejet des adultes ?
 
[Interview réalisée par mails entre le 16 et le 24 janvier 2015]
 

mercredi 21 janvier 2015

Mahomet ! [Oui, je le reconnais !]

                Mahomet quand il est trop stylé pour sortir en boîte.
                                     - Coucou, les filles !


Charlie Hebdo a le droit de caricaturer mais quand même, là, ils exagèrent, ils jettent de l'huile sur le feu. Combien de fois ai-je entendu ce propos répété à l'envi dans tous les médias. Même le pape qui se dit prêt à tabasser celui qui parle mal de sa mère. Ce moment où tu comprends qu'en fait, tendre la joue gauche est une feinte de baston ! Et un peu partout, des musulmans qui brûlent une église sans que personne ne voit bien le rapport. Peut-être que l'église avait insulté leur mère. 

Egorger des journalistes et des otages, enlever des enfants, vendre des femmes et convertir de force, ça n'offense pas le prophète ? Ça n'atteint pas ta foi ? C'est pourtant une sacrée caricature de religion, non ? Mais ce sont les dessins de Charlie qui concentrent ta colère.

On ne peut pas représenter Mahomet, on ne peut pas représenter Mahomet, on ne peut pas représenter Mahomet ! Ce que tu m'irrites à répéter ça. Je vais t'expliquer quelque chose : je suis d'accord avec toi. Ça fait bien chier quand quelqu'un rit d'un truc que tu aimes par dessus tout. Tu t'imagines habiter tranquillement dans le royaume de dieu et tu te rends compte qu'il est peuplé de cartésiens qui caricaturent l'idole. Je sais, c'est désagréable. C'est décevant que tous n'aient pas ta foi et ta ferveur. Ça peut même énerver.

Mais… J'ai juste une question : comment tu sais à quoi il ressemble Mahomet ? Comment reconnais-tu que c'est une caricature de lui s'il n'a pas d'image ? Vas-y, explique-moi, j'attends.
Et tous les médias se lancent dans des débats sur les limites du rire. Comme si la question méritait d'être posée. Pas un ne t'explique que c'est justement dans la capacité à se moquer d'un dieu (qui n'existe pas) qu'on mesure la liberté dont jouit un peuple. On parle beaucoup de la Loi de 1905 en tant que pilier de notre laïcité, c'est oublier un peu vite que l'impact des Lumières n'a pas été que la Révolution de 1789 et le passage par dessus bord de la royauté mais aussi ce moment où nous avons jeté le curé par la fenêtre.

[Ce qui se résume à «Ni dieu, ni maître» mais ce n'est pas là notre sujet.]

C'est parce que nous osons rire des puissants, de ce monde terrestre ou bien d'ailleurs, que nous échappons à la fascination qu'ils pourraient exercer sur nous. Notre faculté de rire d'eux, nous offre de nous évader de leur influence et de leur catastrophisme. La liberté de caricaturer, de blasphémer, est celle qui enclenche toutes les autres.