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vendredi 26 juin 2009

Les raisons [dans mon état !]

CECI EST UNE FICTION




Hommage aux victimes de l'attentat de Karachi par Jacques Chirac, président de la République [photo Ouest-France]


Nous savons bien que cela peut toujours arriver. Nous l'imaginons tous à un moment ou à un autre ; c'est une pensée qui survient et qu'on tente aussitôt de chasser d'un geste de la main. Mais c'est lorsque cela prend forme dans la réalité, que nous comprenons combien on s'y attendait peu. Que votre enfant meurt avant vous est tellement contre nature.

Je suis resté sur place, cloué sur place, avec cette soudaine conscience de tout le chemin déjà parcouru et finalement le vide à l'arrivée. Je mesurais dans le même temps tout ce que je lui avais donné et ce qu'il me restait encore à offrir mais qu'il ne sera plus là.

Pour le reste des événements, je ne me souviens pas trop. C'est un peu comme un vieux film dont les couleurs s'effacent. On aperçoit encore vaguement les personnes qui s'agitent sur l'écran mais leurs traces sur la pellicule ne permettent déjà plus d'en retrouver les traits. Il y avait de la musique dans la cour, des gens sont venus parler et je crois bien qu'on lui a remis une médaille. C'était un peu vain d'imaginer qu'il aurait pu être fier de cette reconnaissance mais c'est pourtant bien d'y songer qui seul me permettait de tenir le coup. Un peu comme pour ne pas gâcher ces instants qui lui étaient dus.

Je n'ai presque pas pleuré, j'ai très peu démontré ma peine, rien n'est sorti de moi. C'était comme si je me retrouvais coincé en moi-même et que cela soit devenu trop grand, sombre et légèrement glacé. Mon corps me semblait d'un poids considérable.

J'ai revu la cérémonie d'hommage un peu plus tard. C'est monsieur Fernandez, le voisin du quatrième qui s'était occupé de nous l'enregistrer. Il y a un ou deux ans, on est allé lui demander pour transférer la VHS sur un DVD et c'est son plus jeune fils, Kevin, qui s'en est occupé avec son ordinateur. Je ne suis pas très habile avec ces choses là mais quand il est redescendu le lendemain avec le boitier tout plat dans la main et le sourire aux lèvres, j'ai vu qu'il était fier d'être parvenu à nous rendre ce service.

Mais je n'ai pas aimé retrouver ces images. Elles ont pris, du fait du travail de la mémoire, un minuscule décalage avec mes souvenirs. Les choses qu'on y voit sont devenues légèrement différentes de ce que j'ai pu en percevoir à l'époque. J'ai rangé le reportage sur l'étagère et il n'en bouge presque jamais. J'y jette un œil de temps en temps et les pensées qui me viennent à présent sont comme de paisibles gardiennes qui m'accompagnent.

Si j'ai fini par accepter sa mort, c'est qu'il fallait bien m'y résoudre. La vie est ainsi faite que nous n'avons pas d'autre choix que d'en suivre le cours. Bien que balloté de tout côté, nous nous efforcons d'y sourire et d'y faire bonne figure. Tout a perdu son goût et sa saveur et, la fourchette à la main, nous nous demandons pourquoi manger. Que voulez-vous y changer ? A quoi servirait-il de s'en plaindre ? Comme s'il était simplement possible que nous annulions la commande et que nous options pour un menu différent.

Il avait choisi ce métier par passion et il en connaissait les risques. Ce n'était pas sa route de devenir fonctionnaire ou coiffeur. Depuis tout petit, il aimait ce qui bouge et s'agite. Il passait bien plus d'heures à s'amuser dehors et jusque tard que scotché devant la télévision. Même quand il voulait lire, il s'installait à l'extérieur.

Nous savons bien que cela peut toujours arriver. Nous l'imaginons tous à un moment ou à un autre ; c'est une pensée qui survient et qu'on tente aussitôt de chasser d'un geste de la main. Votre fils travaille dans l'armement et vous essayez de ne pas penser au front, aux combats, aux missions de reconnaissance et même pas aux accidents toujours possibles lors des séances d'entrainement.

Je n'avais jamais craint un attentat. Je ne sais pas pourquoi, c'est un peu bête. Peut-être était-ce que je pensais notre pays abrité de ce genre de menace. Des raisons géo-stratégiques m'avaient épargné d'en concevoir l'éventualité qui m'est soudain tombée dessus ce jour-là.

Si j'ai fini par accepter sa mort, j'en refuse encore la cause. Je n'ose pas comprendre que les hommages rendus ont peut-être été faux. Ces politiciens, pour se lancer dans les discours émus, portaient les costumes de l'État mais n'en étaient que l'apparat. Ils venaient à la cérémonie officielle entre deux détournements de fonds, deux versements à vérifier sur des comptes dans des banques exotiques. Peut-être comme une perte de temps dans le planning prévu pour l'escalade vers plus hauts sommets.

Al Quaïda ne serait pour rien dans l'attentat.

Ce sont presque devenus les gentils de l'histoire tant
ce qu'on lit ici et là est horrifiant. Des ministres se seraient précipités afin de vendre à bas prix des sous-marins à nos amis pakistanais. Il faut croire qu'à l'époque, les affaires n'étaient pas au mieux de leur forme parce le gouvernement a marchandé au plus bas.

Ou bien c'est qu'ils étaient pressés de récupérer en douce quelque pourcentage sur le montant total des factures, qu'il n'y ait eu urgence à trouver de la fraîche. A moins qu'ils n'aient eu quelque projet à financer tellement vite qu'ils auraient oublié de rémunérer les intermédiaires locaux.

Mon fils ne serait donc pas mort pour la France mais à cause de simples agents commerciaux qu'un retard de paiement aurait énervés, à cause de promesses de récompenses pour la réalisation du contrat que les vendeurs n'auraient pas tenus. D'un bout à l'autre de l'histoire, la lumière apparait, les voiles se lèvent les uns après les autres comme autant de mensonges entassés.

C'est un peu vain d'imaginer qu'il pourrait être fier de cette vérité apparue mais c'est pourtant bien d'y songer qui seul me permet de tenir le coup. Un peu comme pour ne pas gâcher, de mon profond dégout, ces instants qui lui sont dus…


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Dans les affaires précédentes, il s'agissait de simples fausses factures au profit des partis politiques.
On est ici dans un tout autre cas avec une vente d'arme en-dessous de leur prix réel et détourner une partie des factures payées afin de financer une campagne électorale. Si l'on pouvait s'amuser de la succession de non-lieux que cela a donné au fil des ans, j'espère que cette fois, les responsables de la manœuvres seront retrouvés et sévèrement jugés.
Ils ont à répondre indirectement de la mort de onze de nos compatriotes.

14 commentaires:

  1. Ca t'apprendra à nous faire de jolis textes.

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  2. Merci Nicolas !

    Je pensais à ce qu'aurait pu écrire Dorham sur le sujet…
    :-))

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  3. Ce n'est pas 'joli'... C'est mieux que joli...

    J'en reste sans voix...

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  4. Mademoiselle Ciguë : merci !

    0.°

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  5. Pouh.. j'étais sans voix, je ne savais plus quoi faire quoi dire.. Alors j'ai fait rouler mon doigt sur la molette de haut en bas.. et ouf, j'ai vu la phrase salvatrice si discrète ..
    beau texte, Où est passé Dorham ?
    bon we mr..

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  6. Elle-c-dit : merci de commenter. Visiblement, les visiteurs restent sans voix aussi…
    Dorham est un auteur de blog qui s'en est retiré volontairement.
    Je suppose que tu fais référence à la phrase "ceci est une fiction". Ça me semblait obligatoire dans ce cadre de le préciser…
    Mais je tenias à parler de ce point de vue qui me semble le plus important dans cette histoire.

    Bon week end aussi ! :-))

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  7. Quel beau texte, je suis impressionné. Et je comprends que tes lecteurs soient intimidés pour commenter.

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  8. Le Coucou : merci !
    Je suppose que le sujet est intimidant…
    :-))

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  9. Quel beau lien tu m'as fait là ! Grand merci.

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  10. C'est beau et en plus c'est juste...

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  11. Yann, Elle-c-dit et Olivier : merci ! :-)

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