[source]
Ce ne sont pas seulement les paroles ni la musique qui me manqueront. C'est surtout qu'il n'y aura plus personne pour me chanter ma vie vue par d'autres yeux. J'ai connu une Elvire sur des serveurs de Minitel au moment exact où cette chanson passait à la radio :
[…]
Mais saura t-elle
Ce que j'éprouve
A séjourner au sein d'un logiciel
Oui saura t-elle
Ce que j'éprouve
Elvire
Tes danses inaltérables
Au matin m'atteindront
Frappé par la ressemblance
Attends-moi
Me manques pas
Tu me manques déjà
Elvire
Nos aubaines
Traquent l'anguille au gymnase
On s'éparpille aux quatre coins
Simuler
Dissimuler
Simuler
[…]*
C'était comme s'il racontait le contenu émotionnel de mon existence, collant aux mots un sens que l'instant d'avant j'ignorais. Comme s'il révélait la signification sensorielle d'un présent dont je m'abreuvais à pleine bouche [et comment alors peut-on respirer…].
Comme je l'ai vu vivant, vêtu de cuir et fait de rage, il était maigre comme la colère, vif comme le rock. Toujours pour la douceur, un souffle d'harmonica ; petite table à son côté où s'éparpillent les instruments ; la longue main qui s'en saisit et cela fait une doublure de velours à l'électricité des guitares. Comme je l'ai vu nimbé de cette sueur particulière que révèle une salle enfin conquise, les yeux brulés de lui-même.
Je l'ai vu comme un indien outrageusement timide, comme une amphore emplie à ras bord de sa propre fièvre contenue ; comme un rêve de chanson parfaite au moment où on la partage et qui jamais ne sonnera de même. Et comme il avait compris que cela ne venait pas de lui, pas de lui seulement qui avait cette réserve de ceux que la distance parcourue a travaillé au corps, de ceux qui ont compris des choses…
Et puis plus tard, tandis que la vie me changeait à nouveau de chemin, ma platine creusait en boucle sur ce qu'elle me révélait :
[…]
J'ai fait la saison
Dans cette boîte crânienne
Tes pensées
Je les faisais miennes
T'accaparer seulement t'accaparer
D'estrade en estrade
J'ai fait danser tant de malentendus
Des kilomètres de vie en rose
Un jour au cirque
Un autre à chercher à te plaire
Dresseur de loulous
Dynamiteur d'aqueducs
La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Effrontément
J’ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho
[…]*
Il m'a permis de comprendre parfois mieux ce qui vibrait en moi, à éclairer d'une autre manière et par le biais du langage [et l'on aura compris que cela m'intéresse] les émotions trop fortes qui me submergeaient. Je suis de ceux qui rendu triste par une inadvertance du destin, m'en vais creuser la plaie afin d'en bien visiter le moindre détail. Si certaines chansons ont bien, comme je le pense, la capacité incompréhensible de nous désenclaver la lacrymale, alors je suis de ceux qui s'encasquent pendant des heures sur ce type de play-list dans mon Itunes.
Il y a eu les Vertiges de l'amour, les Gaby de passage et peut-être des enfants dans le dos. Il y a eu les soirées Pizzas et quelques incendies plus ou moins volontaires. J'ai osé des Joséphines et quitté des Bijoux dans la rancœur des aubes blafardes [et j'espère parfois que, se souvenant de ces instants passés, Madame rêve…]. J'ai connu Tchernobyl et les irradiations à long terme, de celles qui vous font prendre les fantaisies militaires pour une ode à la vie. Il a croisé ma route et vit toujours au creux de mon oreille. Il me rappelle que :
[…]
J'étais censé t'étourdir
Sans avion sans élixir
J'étais censé te soustraire
À la glu
Les impasses
Les grands espaces
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Une étoile sur le point de s'éteindre
J'étais censé te ravir
À la colère de Dieu
La douceur d'un blindé
Le remède à l'oubli
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
La menace du futur
Les délices qu'on ampute
Pour l'amour d'une connasse
J'étais censé t'encenser
Mes hélices se sont lassées
De te porter aux nues
Je me tue à te dire
Qu'on ne va pas mourir
Sauve toi
Sauve moi
et tu sauras où l'acheter le courage
J'étais censé t'étourdir
Sans aviron sans élixir
J'étais censé te couvrir
À l'approche des cyclones
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Sur le bout des doigts
La promesse d'un instant
La descente aux enfers
Mes bras connaissent
Mes bras mesurent la distance
Sauve toi
Sauve moi
Et tu sauras où l'acheter le courage
J'étais censé t'étourdir
Sans aviron sans élixir
J'étais censé t'extraire
Le pieu dans le coeur
Qui t'empêche de courir
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Une étoile sur le point de s'éteindre
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Sur le bout des doigts
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Une étoile sur le point de s'éteindre
Mes bras connaissent
Sauve toi
Sauve moi
Mes bras connaissent
[…]
Je l'ai vu si faible et souriant, vivant toujours comme une pierre qui conserve la chaleur de toute une vie solaire, brillant et simple d'un sourire à la foule de ses amis intimes venus encore l'entendre. Des gens venus l'écouter. Non pas sa carcasse de cancéreux, sa vieille peau tellement palie par cet empoisonnement des chimiothérapies. Non pas l'homme atteint de toute sa chair humaine, non pas celui à qui l'arbitre n'a encore rien sifflé, mais bien les chansons à travers lui.
Peut-être était-ce, au filtre des masques et du paraître, du maquillage rendu nécessaire par l'entertainment, au delà des arrangements de façades, quelque chose de sa propre vie. Peut-être était-ce un peu de lui qu'il avait raconté avant que la musique ne nous atteigne une première fois, ne nous rencontre. Que chacun ait sa manière de recevoir importe peu.
Et ce soir là, sa main dans l'air traçant des compléments d'informations, ajoutant de l'espace à cet enclos de mots, changeant le pré carré en grand espace illimité et offrant à chacun un passage à sa mesure. Ses mains mouvantes, autour creusées de bien plus d'os que de doigts de même matière avant de retrouver l'harmonica. Le geste lent du bras démesuré pour parcourir la distance jusqu'à la bouche. Un souvenir de joue près d'un restant de lèvres. Et voilà que ses mains se referment, qu'il se saisit de l'intrument. Et voilà qu'il souffle et joue, et voilà qu'il ajoute la douceur des velours à l'électricité des guitares…
Discographie indispensable :
Chatterton [1994 - le plus facile pour commencer]
Osez Joséphine [1991]
Fantaisie militaire [1998]
L'imprudence [2002 - son œuvre au noir sans concession]
La tournée des grands espaces [2004 - live]
Bleu pétrole [2008 - dernier en date]
Ce ne sont pas seulement les paroles ni la musique qui me manqueront. C'est surtout qu'il n'y aura plus personne pour me chanter ma vie vue par d'autres yeux. J'ai connu une Elvire sur des serveurs de Minitel au moment exact où cette chanson passait à la radio :
[…]
Mais saura t-elle
Ce que j'éprouve
A séjourner au sein d'un logiciel
Oui saura t-elle
Ce que j'éprouve
Elvire
Tes danses inaltérables
Au matin m'atteindront
Frappé par la ressemblance
Attends-moi
Me manques pas
Tu me manques déjà
Elvire
Nos aubaines
Traquent l'anguille au gymnase
On s'éparpille aux quatre coins
Simuler
Dissimuler
Simuler
[…]*
C'était comme s'il racontait le contenu émotionnel de mon existence, collant aux mots un sens que l'instant d'avant j'ignorais. Comme s'il révélait la signification sensorielle d'un présent dont je m'abreuvais à pleine bouche [et comment alors peut-on respirer…].
Comme je l'ai vu vivant, vêtu de cuir et fait de rage, il était maigre comme la colère, vif comme le rock. Toujours pour la douceur, un souffle d'harmonica ; petite table à son côté où s'éparpillent les instruments ; la longue main qui s'en saisit et cela fait une doublure de velours à l'électricité des guitares. Comme je l'ai vu nimbé de cette sueur particulière que révèle une salle enfin conquise, les yeux brulés de lui-même.
Je l'ai vu comme un indien outrageusement timide, comme une amphore emplie à ras bord de sa propre fièvre contenue ; comme un rêve de chanson parfaite au moment où on la partage et qui jamais ne sonnera de même. Et comme il avait compris que cela ne venait pas de lui, pas de lui seulement qui avait cette réserve de ceux que la distance parcourue a travaillé au corps, de ceux qui ont compris des choses…
Et puis plus tard, tandis que la vie me changeait à nouveau de chemin, ma platine creusait en boucle sur ce qu'elle me révélait :
[…]
J'ai fait la saison
Dans cette boîte crânienne
Tes pensées
Je les faisais miennes
T'accaparer seulement t'accaparer
D'estrade en estrade
J'ai fait danser tant de malentendus
Des kilomètres de vie en rose
Un jour au cirque
Un autre à chercher à te plaire
Dresseur de loulous
Dynamiteur d'aqueducs
La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Effrontément
J’ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho
[…]*
Il m'a permis de comprendre parfois mieux ce qui vibrait en moi, à éclairer d'une autre manière et par le biais du langage [et l'on aura compris que cela m'intéresse] les émotions trop fortes qui me submergeaient. Je suis de ceux qui rendu triste par une inadvertance du destin, m'en vais creuser la plaie afin d'en bien visiter le moindre détail. Si certaines chansons ont bien, comme je le pense, la capacité incompréhensible de nous désenclaver la lacrymale, alors je suis de ceux qui s'encasquent pendant des heures sur ce type de play-list dans mon Itunes.
Il y a eu les Vertiges de l'amour, les Gaby de passage et peut-être des enfants dans le dos. Il y a eu les soirées Pizzas et quelques incendies plus ou moins volontaires. J'ai osé des Joséphines et quitté des Bijoux dans la rancœur des aubes blafardes [et j'espère parfois que, se souvenant de ces instants passés, Madame rêve…]. J'ai connu Tchernobyl et les irradiations à long terme, de celles qui vous font prendre les fantaisies militaires pour une ode à la vie. Il a croisé ma route et vit toujours au creux de mon oreille. Il me rappelle que :
[…]
J'étais censé t'étourdir
Sans avion sans élixir
J'étais censé te soustraire
À la glu
Les impasses
Les grands espaces
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Une étoile sur le point de s'éteindre
J'étais censé te ravir
À la colère de Dieu
La douceur d'un blindé
Le remède à l'oubli
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
La menace du futur
Les délices qu'on ampute
Pour l'amour d'une connasse
J'étais censé t'encenser
Mes hélices se sont lassées
De te porter aux nues
Je me tue à te dire
Qu'on ne va pas mourir
Sauve toi
Sauve moi
et tu sauras où l'acheter le courage
J'étais censé t'étourdir
Sans aviron sans élixir
J'étais censé te couvrir
À l'approche des cyclones
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Sur le bout des doigts
La promesse d'un instant
La descente aux enfers
Mes bras connaissent
Mes bras mesurent la distance
Sauve toi
Sauve moi
Et tu sauras où l'acheter le courage
J'étais censé t'étourdir
Sans aviron sans élixir
J'étais censé t'extraire
Le pieu dans le coeur
Qui t'empêche de courir
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Une étoile sur le point de s'éteindre
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Sur le bout des doigts
Mes bras connaissent
Mes bras connaissent
Une étoile sur le point de s'éteindre
Mes bras connaissent
Sauve toi
Sauve moi
Mes bras connaissent
[…]
Je l'ai vu si faible et souriant, vivant toujours comme une pierre qui conserve la chaleur de toute une vie solaire, brillant et simple d'un sourire à la foule de ses amis intimes venus encore l'entendre. Des gens venus l'écouter. Non pas sa carcasse de cancéreux, sa vieille peau tellement palie par cet empoisonnement des chimiothérapies. Non pas l'homme atteint de toute sa chair humaine, non pas celui à qui l'arbitre n'a encore rien sifflé, mais bien les chansons à travers lui.
Peut-être était-ce, au filtre des masques et du paraître, du maquillage rendu nécessaire par l'entertainment, au delà des arrangements de façades, quelque chose de sa propre vie. Peut-être était-ce un peu de lui qu'il avait raconté avant que la musique ne nous atteigne une première fois, ne nous rencontre. Que chacun ait sa manière de recevoir importe peu.
Et ce soir là, sa main dans l'air traçant des compléments d'informations, ajoutant de l'espace à cet enclos de mots, changeant le pré carré en grand espace illimité et offrant à chacun un passage à sa mesure. Ses mains mouvantes, autour creusées de bien plus d'os que de doigts de même matière avant de retrouver l'harmonica. Le geste lent du bras démesuré pour parcourir la distance jusqu'à la bouche. Un souvenir de joue près d'un restant de lèvres. Et voilà que ses mains se referment, qu'il se saisit de l'intrument. Et voilà qu'il souffle et joue, et voilà qu'il ajoute la douceur des velours à l'électricité des guitares…
O
Discographie indispensable :
Chatterton [1994 - le plus facile pour commencer]
Osez Joséphine [1991]
Fantaisie militaire [1998]
L'imprudence [2002 - son œuvre au noir sans concession]
La tournée des grands espaces [2004 - live]
Bleu pétrole [2008 - dernier en date]
Une déclaration d'amour.
RépondreSupprimerDu grand Poireau pour un grand !
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerDorham : oui… Je crois que oui… :-|
RépondreSupprimerNicolas : merci !
[En fait, je ne sais jamais ce que ça donne à la lecture et encore plus quand cela devient plus intime comme ici… :-)) ].
Ça donne mieux que bien ! Tu disais ne pas savoir parler de musique, tu avais tort ! Très beau texte, à fleur de peau, de sensibilité, juste ce qu'il faut...
RépondreSupprimerMademoiselle Ciguë : oui, je pense toujours ne pas savoir parler de la musique, de l'émotion qu'elle provoque. J'ai des articles sur ce sujet dans des cahiers que finalement je ne mets pas en ligne pour cette raison…
RépondreSupprimer[Je suis heureux d'avoir partagé Bashung en vie avec toi…].
:-|
Poireau,
RépondreSupprimerJe crois qu'en réalité, extraire le sentiment que provoque la musique et l'exposer, le disséquer, est une chose impossible, un défi impossible. Ton texte est très beau et tu mets sans doute la barre bien trop haut. Trop haute cette barre, parce qu'inaccessible pour tous.
C'est étrange car on peut le faire des livres, des peintures, des sculptures. Dans la musique, il y a de manière tout à fait singulière quelque chose qui gratte toutes nos cordes : intellect, transcendance, sentiment, animalité. C'est aussi parce qu'il s'agit là de l'art primal, de celui qui commence dès la naissance, par un cri. Tous les arts ont un rôle dans l'évolution humaine. Seule la musique est à part, innée, conçue avec nous.
Forcément. Comment expliquer ça avec de vrais mots ? On est forcément au niveau "en-dessous".
Dorham : mais justement prétendre écrire, c'est vouloir parvenir à mettre en mot, à transmettre ainsi quelque chose du sentiment. Je cherche, tout en étant parfaitement conscient de son statut d'illusion, cette "bonne" manière de traduire l'émotion de l'auditeur face à la musique.
RépondreSupprimerPeut-être qu'il m'arrive d'y parvenir - c'est ce qui me semble ressortir des commentaires ici ou à d'autres occasions - mais je ne m'en satisfait jamais !
Je vais regarder dans mes cahiers ce que j'avais écrit sur d'autres artistes et peut-être me décider à poster enfin !!!
:-))
Merci Filaplomb...
RépondreSupprimerIl a tiré sa révérence beaucoup trop tôt...le funambule , le poête et son univers va aussi me manquer. Bel article !
RépondreSupprimerJe fuis les hommages qui m'agacent souvent et je serais bien incapable d'en faire un moi-même, votre billet est une réconciliation. Les mots, la musique et l'homme.
RépondreSupprimerJe l'ai vu une seule fois, il y a peut être dix huit ans, un souvenir comme une pépite, on en a peu dans une vie.
Merci.
Bravo Mr Poireau, très bel hommage à quelqu'un qui le mérite.
RépondreSupprimerElvire : de rien… :-))
RépondreSupprimerRénica : Merci ! :-)
La mère Castor : je ne suis pas fan des hommages non plus. J'essayais surtout de dire la place de Bashung dans ma propre vie et forcèment, il manquera ! (merci !).
:-))
Poison-Social : merci ! :-))
magnifique, magnifique, magnifique ...
RépondreSupprimerà l'image
merci