samedi 17 décembre 2022

Nomadland (l'humanité dépourvue)

L'affiche du film Nomadland montre Fern le personnage principal sur un décor de paysage américain

 

 

Hier, j'ai vu un très beau film qui s'appelle Nomadland*. C'est l'histoire d'une femme, Fern, qui perd tout et qui part sur la route dans son van.

Le film éclipse la perte. A l'ouverture du film, on la voit vendre des affaires, payer ses dettes puis partir. Dès les premiers plans du film, elle est détachée, le lien est rompu.

Alors qu'on découvrira au long du récit, qu'on a beau rompre avec tout, avec les possessions matérielles, avec la marchandisation du monde, on emporte toujours avec soi ses petits bagages.

C'est un film qui parle de ce que ça fait de vivre. Mais pas comme draguer une nana, s'acheter une maison à crédit et faire des enfants qui vous occuperont jusqu'à l'âge de la retraite et au delà. Non, c'est un film qui parle de ce que c'est qu'être vivant.

Ressentir le froid, regarder le ciel, écouter les oiseaux, rouler loin et longtemps. Et connaître d'autres humains. D'autres personnes comme soi-même qui ont brisé leurs liens et qui s'en sont partis.

Ils ne vont pas tous quelque part.

Notre héroïne parcourt les routes avec des rendez-vous réguliers à tel ou tel endroit pour quelques jours de boulot. Chez Amazon à remplir des cartons, dans une coopérative à récolter de la betterave, des tonnes de betteraves.

Ils se croisent parfois au hasard ou selon des rendez-vous qu'ils se donnent et vient qui veut. Ils se côtoient, ils se parlent, ils se font des soirées avec du feu, ils se partagent un café dans le petit matin, quelqu'un parfois ouvre son cœur comme on pose un sac qu'on a suffisamment porté, parfois l'un des leurs est mort. Chacun emporte avec lui des ombres dont il ne parle généralement pas trop.

«Ce dont on se souvient, vit» dit Fern.

Il y a la nature tout le temps, les premières heures du jour, un rayon de soleil, le froid du givre, l'eau glacée des rivières, des oiseaux par centaines et eux qui sont là en tant que témoins de la beauté du monde dont ils font partie.

Il y a régulièrement des contacts avec ceux qui sont encore dans leurs attaches et toujours amarrés dans le même port. Ceux qui suivent les rails sur lesquels on les a lancés. La tentation peut-être de les envier, la tiédeur du confort qu'on leur envie — ils ont des toilettes et des matelas confortables, ils ont des douches chaudes et une machine à laver — mais qui ne dure pas.

Ce film parle de la difficulté d'être libre et du poids des chaînes que nous pose notre façon de vivre, les marchandises qui nous possèdent et nous retiennent. Mais aussi de la difficulté matérielle à conquérir une certaine liberté.

[J'écris dans mon époque, à cette période où nos frères et nos sœurs humains dorment à la rue pendant que les propriétaires de plusieurs toits laissés vacants, passent de belles nuits. C'est un film qui parle de ce que ça fait de vivre en tant qu'humain, selon des valeurs humanistes].

Il y a ce moment que je peux citer comme exemple. Elle est occupée à fumer une cigarette et un jeune gars vient lui en demander une, poliment, qu'elle la lui offre comme l'évidence du partage, puis qui lui donne aussi son briquet parce qu'il n'en a pas. C'est juste ça, le faire plaisir plutôt que l'égoïsme, le partage contre la propriété.

C'est un film qui parle de notre humanité dénuée de bien, de notre humanité dépourvue de tout, de notre humanité comme seule richesse.

 

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Nomadland (2020) un film écrit, réalisé
et monté par Chloé Zao* à partir du roman
de même nom de Jessica Bruder. Le rôle principal est tenu
par la formidable Frances McDormand.
Que des femmes, je ne suis pas surpris !