Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire par De Chirico [source].
Ce mardi 29 septembre 2009, Charlotte Rampling était à Bruxelles au théâtre Saint-Michel. Monsieur Poireau était dans la salle :
Ce n'est pas tous les jours qu'on voit Charlotte Rampling sur scène. Je me souviens de son visage et de son regard métallique sur le grand écran de mes émotions d'homme, quelque chose d'un acier doté d'une chaleur charnelle. Ah, Charlotte, à nous la grande dame anglaise.
Le public du théâtre Saint-Michel de Bruxelles mérite d'être détaillé. Disons clairement que si l'ambition du lieu était de convaincre notre belle jeunesse de tout l'intérêt des planches, il a raté son coup : les ados préfèrent visiblement le skate.
Un concours de costumes et de tenues, sobres et chics, seyants et sans tapage et, malgré quelques cinquantenaires à la féminité gourmande des fruits parvenus à la maturité, on se sent un peu perdu parmi les soies et les brocarts à l'élégance discriminante. Ils viennent ici pour être vus avant que de penser à voir. La caste s'attroupe une autre fois pour mesurer les atours de chacun de ses membres.
J'ai toujours aimé les lectures publiques. Les acteurs ont cette capacité de ressentir un texte jusque dans ses respirations les plus secrètes, de les dire comme il convient et d'en trouver naturellement la musicalité, telle qu'elle doit rythmer la langue et la diction. J'avais en la matière et en dernière expérience, le formidable Fabrice Luchini mettant en lumière l'arrivée de Louis-Ferdinand Céline à New-York [extrait de «Voyage au bout de la nuit»], autant vous dire que j'avais mis la barre un peu haut.
Le décor se résume à quelques tables de bar plantées d'un pied unique et portant quelques verres, quelques tasses et deux ou trois bougies. Le fond de scène est noir orné d'un grand rectangle qu'on devine plus clair. Tout à fait sur la gauche, un pupitre dont on pressent qu'il sera le lieu de la lecture.
Ils entrent à trois, l'un après l'autre. L'homme est barbu de sombre, vêtu d'un gilet noir, pantalon noir et d'une chemise blanche. La femme s'assied au centre de la scène posant devant elle sa guitare. Charlotte Rampling enfin, très droite presque figée s'avance jusqu'au pupitre et entame la lecture.
Jusque là, c'était bien.
La voix est ferme, le ton est neutre, presque glacial et la langue bientôt accroche un mot puis un autre. On se dit qu'il s'agit d'un début, on imagine l'émotion, le trac, les mains poisseuses et la bouche sèche ; on lui invente des excuses bien qu'on sache par avance la quantité de travail en amont pour arriver à ce moment. Il y a cette illustration aussi, projetée sur l'écran du fond de scène. Une image fixe et plutôt laide d'un visage peint de couleurs criardes sous laquelle figure le titre du chapitre en cours. Une phrase composée d'un bleu tirant sur le gris et qui, à en juger la mauvaise gestion des espaces de la typographie fut tapé sous Word™ par une secrétaire quelconque avant d'être ajoutée ici.
Il y a de temps à autre, l'homme qui prend la parole. Si l'on comprend qu'il s'agit d'exprimer l'échange de correspondance entre Marguerite Yourcenar et Constantin Cavafis, pourquoi ne se parlent-ils pas ? Pourquoi leurs voix se superposent-elles au point d'en faire perdre le sens au spectateur ? Etait-ce la volonté de la scénographie de Lambert Wilson ?
Polydoros se lève, ne regardant nulle part ni personne et de sa voix douce et grave et tandis que Charlotte déchiffre sa propre lettre : «Θλιβερόν, θλιβερόν είναι άλλο πράγμα. Eίναι όταν περνούν κάτι πελώρια πλοία, με κοράλλινα κοσμήματα και ιστούς εξ εβένου, με αναπεπταμένας μεγάλας σημαίας λευκάς και ερυθράς, γεμάτα με θησαυρούς, τα οποία ούτε πλησιάζουν καν εις τον λιμένα είτε διότι όλα τα είδη τα οποία φέρουν είναι απηγορευμένα, είτε διότι δεν έχει ο λιμήν αρκετόν βάθος δια να τα δεχθή. Kαι εξακολουθούν τον δρόμον των. Oύριος άνεμος πνέει επί των μεταξωτών των ιστίων, ο ήλιος υαλίζει την δόξαν της χρυσής των πρώρας, και απομακρύνονται ηρέμως και μεγαλοπρεπώς, απομακρύνονται δια παντός από ημάς και από τον στενόχωρον λιμένα μας». Elle continue d'annoner de son côté d'une voix monocorde. Elle semble loin de ce qu'elle dit, du poids des mots qu'elle répand parmi nous.
Il s'agit d'un vieil homme qui se plaint de son âge, de l'éloignement inexorable de sa jeunesse et du goût vivace qu'il en garde pourtant. L'amour était ardent et brule encore sa mémoire. Un texte remarquable mais rendu ennuyeux par cette mise en scène glacial. Charlotte Rampling quitte son pupitre pour rejoindre une des tables sans qu'on en comprenne la justification. Et l'autre qui sans cesse intervient : «Aπό την Φαντασίαν έως εις το Xαρτί. Eίναι δύσκολον πέρασμα, είναι επικίνδυνος θάλασσα. H απόστασις φαίνεται μικρά κατά πρώτην όψιν, και εν τοσούτω πόσον μακρόν ταξίδι είναι, και πόσον επιζήμιον ενίοτε δια τα πλοία τα οποία το επιχειρούν.» Quelqu'un peut-il lui expliquer que nous ne parlons pas grec ?
Tout cela s'entrecoupe d'intermèdes musicaux. La guitariste, d'un air inspiré acquis de longue date, nous joue quelques arpèges que n'aurait pas reniés un Maxime Leforestier d'avant sa période ultra-libérale. C'est assez joli et suffisamment champêtre pour nous distraire de l'ennui grisâtre du reste.
C'est un spectacle noyé de gris.
Charlotte Rampling revient pour la dix-huitième fois à son pupitre. Elle renouvelle le déplacement mais varie le parcours : elle avait tout à l'heure contournée les tables et voici qu'elle passe par l'avant-scène. On regarde circulairement la salle silencieuse qui, soit essaie en vain de comprendre ce qu'on tente de lui dire [on se sent alors plus idiot que nécessaire], soit enfin s'est en grande partie assoupie. On attend avec patience et on croise les doigts pour que la pièce ne s'achève pas trop tard, c'est un genre d'interprétation qui prépare confortablement au sommeil.
Soyons cruel jusqu'au bout : Petit moment de rire durant la lecture de Charlotte Rampling avec un «les zut» venu réveiller l'oreille en lieu et place des huttes !
Source des textes en grec de Constantin Cavafis.
samedi 3 octobre 2009
Charlotte Rampling [ennui grisâtre…].
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Allons bon ! Voila Poireau qui s'attaque au classement des blogs théâtre en russe.
RépondreSupprimerNicolas : bordel, c'est du grec ! :-))))
RépondreSupprimer[Ah la lecture en diagonale !!! ;-) ].
Désolé Poireau, j'ai décroché au troisième paragraphe... Chacun son domaine : tu fais un billet sur les bistros, je lis en entier, mais sur les lectures publiques de Lolotte Ramplinge, heu...
RépondreSupprimerPour ce qui est de la légende du tableau, je suppose qu'il doit s'agir de Guillaume Apollinaire et du peintre De Chirico ?
RépondreSupprimerBon, je retourne lire...
Nicolas : aucun problème, c'est qu'un blog ! :-))
RépondreSupprimerDidier : oups ! Je corrige ! Merci ! :-))
Et bien, une lecture publique avec des textes en grec... fallait avoir le choeur bien accroché...
RépondreSupprimerMais pourquoi mon article est-il en italique ? Je n'ai pas demandé ça et ça ne figure même pas dans le html. Pffff…
RépondreSupprimerBalmeyer : franchement, j'étais partant pour ce poète grecque qui a l'air intéressant mais en langue original, bon…
:-))
e
RépondreSupprimerUn e manquait au commentaire précédent, le voici !
:-)
C'est bien amusant, cette description !!
RépondreSupprimerMême les plus grands sont susceptibles de proposer du médiocre, et le minimalisme a ses limites ...
A Toulouse il y a deux ans c'est Bernard-Pierre Donnadieu qui a lu l'extrait d'une oeuvre de Rick Bass comme si c'était du Bigard. (soupir)
RépondreSupprimerAudine : merci ! Côté humour, je trouve mon article raté mais ce n'est pas grave. Le manque de temps nuit à l'écriture, je devrais résoudre ce problème au plus vite !!!
RépondreSupprimerPour la scène, le public a été gentil et a quand même applaudit correctement. Je n'ai pas vu s'il y avait des rappels, on avait déjà filé !!! :-))
[Tiens ça me rappelle "la solitude des champs de coton" que j'ai vu massacrée à Toulouse, de cette même manière de jouer sans émotion !].
Anna de Sandre : c'était dans le festival des frères Poivre d'Arvor ? (soupir aussi…).
Ne pas se donner sur une scène de théâtre, c'est presque insultant pour le spectateur...
RépondreSupprimerPas glop !
Je me souviens d'un concert des Rita mitsouko où leur prestation a été largement écrasée par le p'ti groupe inconnu en 1ere partie... Hum...
Cath' n'y était pas ! Déçue...
un bon we Mr..
Ah c'est toi le type qui ronflait au troisième rang devant moi ? j'ai rien entendu à cause de ça ;-)
RépondreSupprimerTrub : c'est même pas vrai, je n'ai même pas dormi ! :-))
RépondreSupprimerelle-c-dit : ce serait bien de pouvoir plus souvent échanger avec les artistes après la représentation, surtout si on a le sentiment d'un raté ! :-))
Oui, c'était dans ce cadre.
RépondreSupprimerJe rajouterais à cet ersatz de théâtre:
RépondreSupprimer1° une scénographie inutile -voire dérangeante-,
2° un décor sonore totalement hors sujet,
3° des lumières pleines de trous noirs,
4° des césures pour le moins inopportunes,
Et tout ça sans compter les toux et autres soupirs d'un public complètement largué - quand il ne s'agit pas d'un spectateur qui, par deux fois, sort de la salle- inévitables lorsqu'on se retrouve au milieu d'une si mauvaise représentation...
Anna de Sandre : ceci explique cela !
RépondreSupprimerMademoiselle Ciguë : il n'y a pas que l'éclairage qui laissait des trous noirs. J'ai l'impression que ça désigne toute la représentation !
Par contre, je précise que Rampling n'est qu'une actrice ici, elle suit les indications qu'on lui donne en bonne interprète. C'est bien toute l'équipe qu'il faudrait fustiger !
:-))
(Ah bon, tu y étais aussi ? On aurait pu se rencontrer alors ? :-)) ).
Et maintenant qu'elle est de nouveau sur SON ordi, elle coche !
RépondreSupprimer(sans "er" ou "é" comme ça, elle est tranquille ! ;-)
Poireau: Je n'ai pas accusé uniquement Charlotte !
RépondreSupprimerLe théâtre - et je sais de quoi je parle y ayant travaillé pendant des années- c'est le travail de toute une équipe. Une mauvaise pièce peut être aussi bien due aux comédiens qu'au metteur en scène, aux techniciens (lumières, son, scéno...), etc. On s'en prend toujours à ceux qui sont sur scène alors que, par exemple, le meilleur comédien déclamant le plus beau texte, dans le plus merveilleux décor mais dans un noir complet, forcement, c'est raté...
Je ne veux pas dire que c'est Charlotte Rampling qui était mauvaise. Je dis simplement que le travaille d'équipe était lamentable. S'il fallait un responsable, ce serait plutôt Lambert Wilson... bien que je trouverais ça assez réducteur...
Mademoiselle Ciguë : nous sommes d'accord !
RépondreSupprimerC'est dans l'article que je mettais un peu trop en cause Charlotte Rampling. Pour moi la scénographie était vraiment une mauvaise idée. C'est bien joli de nous coller les lettres en version originale mais vu de la salle, c'est finalement ennuyeux et ça casse la concentration !
:-))
J'ai lu ton billet ce matin, et j'ai presque ressenti la même déception que toi: j'aime beaucoup Charlotte Rampling. Maintenant, une lecture publique… C'est vite ingrat…
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJ'adore De Chirico, c'est tout ce je peux dire. Vous m'enlevez les menottes, maintenant ?
RépondreSupprimer:)))