jeudi 8 octobre 2009

Le peloton [la meute !].


Un pousse-pousse en Chine [source]


Moi, les pédophiles, je crois toujours que ça désigne des gars qui adorent voyager à pied. Ce serait venu du grec pedos qui par déformation a donné pédale. C'est comme ça qu'on a fini par prendre les cyclistes pour ce qu'ils ne sont pas.
On peut parfaitement être touriste et abstinent, ça n'a rien à voir. Tout comme on peut avoir mal aux fesses sans être tout à fait un cyclotouriste.

Que Frédéric Mitterrand fasse ou non du vélo, ce n'est pas vraiment la question. C'est ce qu'avait l'air de penser Laurence Ferrari lorsqu'elle a commencé l'interview du Ministre de la Culture et de la Communication. Elle en tenait un, un vrai, l'un de ces sauvages barbares et sanguinaires personnages et quelque fois barbus qui s'en prennent à nos enfants. Ou, en tout cas, qui auraient pu s'attaquer aux gamins de la dame qui connait la femme dont la belle-sœur a croisé au supermarché, il y a quelques années, l'ex-petite-amie du pauvre papa dont la petite fille chérie a été sexuellement violée.

On sentait qu'ils en avaient parlé en réunion de rédaction et, je ne sais pas si c'est à cause de craintes qu'elle pourrait avoir du fait de courbes d'audiences exprimant plus la chute d'organes que la jeunesse épanouie, mais elle avait visiblement décidé que c'était l'entretien de sa vie. Une vedette, un people mouillé dans des histoires de fesses, elle avait sous la main de quoi faire bander l'audimat, pourvu qu'elle soit à la hauteur.

Le Ministre de la Culture a argumenté, expliqué, détaillé, essayé de préciser les choses. Il a parlé du contexte, du sens de l'ensemble de chapitres constituant le livre, qu'il qualifie lui-même de quelque chose entre le roman et le récit, pas totalement de la fiction. Il a reconnu avoir loué les services d'un pousse-pousse en Asie, il le dit sans fierté, ni revendication. Ça ne démontre en rien qu'il aime tout particulièrement la bicyclette.

Il a tenté une belle échappée quand il a justifié la défense de Polanski : «Je suis Ministre de la Culture, je me dois d'être au côté des artistes et je n'ai pas à prendre position sur une affaire qui n'a pas été jugée». On le voyait déjà franchir la ligne en vainqueur, les bras levés dans son maillot débordant des couleurs de son nouveau panache, on l'imaginait venir bientôt sur le podium recevoir les lauriers de la gloire
mais c'est sans compter sur Laurence Ferrari, toujours dans sa roue.

Face aux explications du Ministre qui se dit profondément touché dans son honneur [ce qui n'est tout de même pas anodin pour qui se souvient de l'histoire de Roger Salengro], après avoir plusieurs fois relancé comme pour tester son adversaire, elle se penche vers lui, elle pose le coude sur son bureau me semble-t-il et elle le cloue sur la ligne :

— et si dans quelques semaines, quelques mois, un texte condamnant le cyclotourisme est mis au vote à l'Assemblée, vous serez tout de même présent dans l'hémicycle ?

Quand tu es sur le plateau de TF1, tu n'as aucun rôle à jouer, tu es le gibier. Il ne te revient pas d'apporter les réponses aux questions qu'on te jappe à la face. Ils choisissent avant même que tu n'arrives en plateau, l'angle selon lequel ils présenteront le sujet. Qu'il s'agisse de ta propre vie ne leur importe en aucune manière. Ta narration elle-même des faits de ton existence n'influera pas sur le déroulement. S'il faut te mordre pour te ramener dans leur droit chemin, tu auras les mollets mouillés de sang…

mardi 6 octobre 2009

Le doigt de d.ieu [dans l'œil du cyclone !].


Pique-Nique en face du chantier de construction de l'EPR à Flamanville [source]


Vous souvenez-vous de Tchernobyl, ce charmant village dans son petit coin de nature ? Son club de foot local, sa place de l'église et ses babouchkas assises autour d'un samovar au seuil de
leur datcha ?

Elles y sont toujours même si plus personne ne les salue.
Sur un rayon de quinze kilomètres, ce qui est grosso modo une sacrée distance, il n'y a plus âme qui vive. Toute la population a plié bagages et emporté avec elle, les choses essentielles. Elle a fait les valises, trié l'important du futile et est partie de là.

Nul ne regarde plus aujourd'hui, le sarcophage de béton qui domine le bout de la rue principale, de toute sa carrure. Il est comme une église délaissée et grisâtre, un d.ieu abandonné de tous qui suppure de colère et d'aigreur. Il règne ici encore en maître mais sa puissance ne rayonne plus qu'en vain.

Vous souvenez-vous de Flamanville, ce charmant village dans son écrin de verdure ? Son club de foot local, sa place de l'église, ses mamies assises autour d'une bouteille de calva, au seuil de leur chaumière et sa centrale nucléaire ?

Ici aussi, comme au bon temps du communisme centralisé, on exige toute la puissance du feu sans s'adonner aux sacrifices, sans y consacrer les rites nécessaires. Par manque de moyens, les employés de l'établissement, qui sont un peu comme les prêtres chargés du culte, ont décidé d'exercer leur droit de retrait [d'une bonne quinzaine de kilomètres !].

Et notre journaliste du Monde, n'ayant ni l'âge ni l'aune de connaitre l'histoire du siècle dernier, je suppose et à qui l'on a confié la mission refilé la pige de raconter, depuis son bureau parisien, cette grève pour le moins alarmante, rapporte benoitement les propos de la direction : "Il faut trouver une solution", a-t-elle ajouté, arguant que l'arrêt de la centrale coûtait un million d'euros par jour.

Je me demande encore s'il s'agit d'humour ou d'inconscience…


dimanche 4 octobre 2009

L'Europe [Le cabri, c'est fini !]


[source]


C'est un grand jour pour l'Europe, un big day comme on dit à Bruxelles. L'Irlande a enfin voté yes et tous les pays sont en fête à travers le continent. Le Traité de Lisbonne, écarté par le peuple des Pays-Bas, refusé par les Français, rejeté par les Irlandais lors d'un premier tour qu'on s'est permis de redoubler, contesté par le gouvernement polonais et regardé avec méfiance par le parlement tchèque, va enfin pouvoir entrer en vigueur.

Peu importe l'opinion, il faut aller de l'avant et construire l'Union.

Dans quel but ?

Et bien, pour construire, pour agrandir, pour légiférer, pour réglementer, pour réguler, pour normaliser, pour rationaliser, pour échanger, pour étendre le marché, pour …

Quoi ? Mais quoi, les gens ?

Quels gens ?

samedi 3 octobre 2009

Charlotte Rampling [ennui grisâtre…].


Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire par De Chirico [source].


Ce mardi 29 septembre 2009, Charlotte Rampling était à Bruxelles au théâtre Saint-Michel. Monsieur Poireau était dans la salle :


Ce n'est pas tous les jours qu'on voit Charlotte Rampling sur scène. Je me souviens de son visage et de son regard métallique sur le grand écran de mes émotions d'homme,
quelque chose d'un acier doté d'une chaleur charnelle. Ah, Charlotte, à nous la grande dame anglaise.

Le public du théâtre Saint-Michel de Bruxelles mérite d'être détaillé. Disons clairement que si l'ambition du lieu était de convaincre notre belle jeunesse de tout l'intérêt des planches, il a raté son coup : les ados préfèrent visiblement le skate.
Un concours de costumes et de tenues, sobres et chics, seyants et sans tapage et, malgré quelques cinquantenaires à la féminité gourmande des fruits parvenus à la maturité, on se sent un peu perdu parmi les soies et les brocarts à l'élégance discriminante. Ils viennent ici pour être vus avant que de penser à voir. La caste s'attroupe une autre fois pour mesurer les atours de chacun de ses membres.

J'ai toujours aimé les lectures publiques. Les acteurs ont cette capacité de ressentir un texte jusque dans ses respirations les plus secrètes, de les dire comme il convient et d'en trouver naturellement la musicalité, telle qu'elle doit rythmer la langue et la diction. J'avais en la matière et en dernière expérience, le formidable Fabrice Luchini mettant en lumière l'arrivée de Louis-Ferdinand Céline à New-York [extrait de «Voyage au bout de la nuit»], autant vous dire que j'avais mis la barre un peu haut.

Le décor se résume à quelques tables de bar plantées d'un pied unique et portant quelques verres, quelques tasses et deux ou trois bougies. Le fond de scène est noir orné d'un grand rectangle qu'on devine plus clair. Tout à fait sur la gauche, un pupitre dont on pressent qu'il sera le lieu de la lecture.

Ils entrent à trois, l'un après l'autre. L'homme est barbu de sombre, vêtu d'un gilet noir, pantalon noir et d'une chemise blanche. La femme s'assied au centre de la scène posant devant elle sa guitare. Charlotte Rampling enfin, très droite presque figée s'avance jusqu'au pupitre et entame la lecture.

Jusque là, c'était bien.

La voix est ferme, le ton est neutre, presque glacial et la langue bientôt accroche un mot puis un autre. On se dit qu'il s'agit d'un début, on imagine l'émotion, le trac, les mains poisseuses et la bouche sèche ; on lui invente des excuses bien qu'on sache par avance la quantité de travail en amont pour arriver à ce moment. Il y a cette illustration aussi, projetée sur l'écran du fond de scène. Une image fixe et plutôt laide d'un visage peint de couleurs criardes sous laquelle figure le titre du chapitre en cours. Une phrase composée d'un bleu tirant sur le gris et qui, à en juger la mauvaise gestion des espaces de la typographie fut tapé sous Word™ par une secrétaire quelconque avant d'être ajoutée ici.

Il y a de temps à autre, l'homme qui prend la parole. Si l'on comprend qu'il s'agit d'exprimer l'échange de correspondance entre Marguerite Yourcenar et Constantin Cavafis, pourquoi ne se parlent-ils pas ? Pourquoi leurs voix se superposent-elles au point d'en faire perdre le sens au spectateur ? Etait-ce la volonté de la scénographie de Lambert Wilson ?

Polydoros se lève, ne regardant nulle part ni personne et de sa voix douce et grave et tandis que Charlotte déchiffre sa propre lettre : «Θλιβερόν, θλιβερόν είναι άλλο πράγμα. Eίναι όταν περνούν κάτι πελώρια πλοία, με κοράλλινα κοσμήματα και ιστούς εξ εβένου, με αναπεπταμένας μεγάλας σημαίας λευκάς και ερυθράς, γεμάτα με θησαυρούς, τα οποία ούτε πλησιάζουν καν εις τον λιμένα είτε διότι όλα τα είδη τα οποία φέρουν είναι απηγορευμένα, είτε διότι δεν έχει ο λιμήν αρκετόν βάθος δια να τα δεχθή. Kαι εξακολουθούν τον δρόμον των. Oύριος άνεμος πνέει επί των μεταξωτών των ιστίων, ο ήλιος υαλίζει την δόξαν της χρυσής των πρώρας, και απομακρύνονται ηρέμως και μεγαλοπρεπώς, απομακρύνονται δια παντός από ημάς και από τον στενόχωρον λιμένα μας». Elle continue d'annoner de son côté d'une voix monocorde. Elle semble loin de ce qu'elle dit, du poids des mots qu'elle répand parmi nous.

Il s'agit d'un vieil homme qui se plaint de son âge, de l'éloignement inexorable de sa jeunesse et du goût vivace qu'il en garde pourtant. L'amour était ardent et brule encore sa mémoire. Un texte remarquable mais rendu ennuyeux par cette mise en scène glacial. Charlotte Rampling quitte son pupitre pour rejoindre une des tables sans qu'on en comprenne la justification. Et l'autre qui sans cesse intervient :
«Aπό την Φαντασίαν έως εις το Xαρτί. Eίναι δύσκολον πέρασμα, είναι επικίνδυνος θάλασσα. H απόστασις φαίνεται μικρά κατά πρώτην όψιν, και εν τοσούτω πόσον μακρόν ταξίδι είναι, και πόσον επιζήμιον ενίοτε δια τα πλοία τα οποία το επιχειρούν.» Quelqu'un peut-il lui expliquer que nous ne parlons pas grec ?

Tout cela s'entrecoupe d'intermèdes musicaux. La guitariste, d'un air inspiré acquis de longue date, nous joue quelques arpèges que n'aurait pas reniés un Maxime Leforestier d'avant sa période ultra-libérale. C'est assez joli et suffisamment champêtre pour nous distraire de l'ennui grisâtre du reste.

C'est un spectacle noyé de gris.

Charlotte Rampling revient pour la dix-huitième fois à son pupitre. Elle renouvelle le déplacement mais varie le parcours : elle avait tout à l'heure contournée les tables et voici qu'elle passe par l'avant-scène. On regarde circulairement la salle silencieuse qui, soit essaie en vain de comprendre ce qu'on tente de lui dire [on se sent alors plus idiot que nécessaire], soit enfin s'est en grande partie assoupie. On attend avec patience et on croise les doigts pour que la pièce ne s'achève pas trop tard, c'est un genre d'interprétation qui prépare confortablement au sommeil.


Soyons cruel jusqu'au bout : Petit moment de rire durant la lecture de Charlotte Rampling avec un «les zut» venu réveiller l'oreille en lieu et place des huttes !

Source des textes en grec de Constantin Cavafis.