On ne va pas parler de ce qui motive les gens à se réunir sur des places, on va parler d'un vieux réac qu'ils n'aiment pas. Parce qu'il y a selon l'ordre médiatique une sorte d'obligation à applaudir Alain Finkielkraut. Qu'il tienne un discours identitaire importe peu, il faut l'aimer.
Il y a encore des responsables politiques pour qui dégager les places publiques fera disparaitre la colère des gens, comme par magie. On ne va pas parler des violences et de l'impunité policières
de ce pays, on va s'alarmer qu'une affiche en dénonce l'existence.
Il y a encore des responsables politiques pour qui l'usage de la force est la réponse à la confrontation entre ceux qui exercent le pouvoir et ses assujettis. On ne va pas parler de leur absence permanente de solution. On ne va pas parler de leurs renoncements, on ne va pas parler de leurs échecs depuis 40 ans à ne résoudre rien. On ne va pas souligner leur incompétence à faire autre chose que de supprimer des droits sociaux.
On ne va pas se demander d'où vient tout cet argent qui s'accumule au point de déborder jusqu'au Panama, le même argent qui manque pour payer des infirmières et ouvrir des écoles, les mêmes sommes absentes quand il s'agit de soutenir un théâtre, une association culturelle ou d'accueillir dignement des réfugiés de guerre.
On ne va pas parler des slogans au pinceau qui décorent nouvellement cette agence bancaire, on ne va pas y lire la dénonciation du vol permanent et généralisé. On va dénoncer cela comme une dégradation. On ne va pas parler de cette ligne de crédit qui reste absolument introuvable quand une PME réclame un financement pour renouveler ses équipements.
On ne va pas s'interroger sur le sens qu'il y a pour une société à produire de jeunes gens formés à mieux comprendre le monde et qui vont galérer pour devenir caissier chez Carrefour. On ne va pas s'interroger sur la légitimité de leur désenchantement. Ils n'avaient qu'à faire Top Chef ou Koh Lanta.
On ne va pas faire usage des réseaux sociaux pour échanger sur la beauté du monde et réinventer la politique. On va les remplir de posts et de tweets sur les clowneries permanentes de la société du spectacle. On va railler ce candidat chanteur mal coiffé, applaudir cette starlette à deux balles, on va moquer ses fautes de français, gloser d'une virgule, railler un contresens, on va déverser nous-mêmes dans nos espaces de liberté les tonnes de détritus que produit la télévision.
On ne va pas parler de ce qui motive les gens à se réunir sur des places. Des gens qui ne se connaissent pas et qui se parlent. On ne va pas souligner leur désir d'avenir, leur politique autrement, leur changement qui est maintenant, on va parler de la course des petits chevaux vers l'Elysée. On va commenter le jeune premier contre le vieux sur le retour, le vieux percheron contre le pur sang.
On ne va surtout pas dire que les gens qui se parlent sur les places sont des électeurs qui ne croient plus au gain miraculeux, des gens qui décident de ne plus jouer au tiercé. Des gens comme vous et moi qui sont la démocratie.
Source : photo AFP piquée ici