Après la découverte de la formidable «Fondation du Rien» qui m'avait tellement enthousiasmé que j'avais interviewé Nicolas Heredia (ici), ce dernier a eu la gentillesse de m'inviter à aller le voir sur scène lors de son passage à Perpignan. J'adore le théâtre. Vous pouvez découvrir de vraies personnes en chair et en os qui interprètent, en direct et avec le soutien de toute une équipe technique dans l'ombre, un spectacle à votre seule intention, pour à peine plus cher qu'une place de ciné.
Ceci dit pour la catégorie sociale où je stagne, située non pas en bas de l'échelle mais sous le premier barreau, même le prix d'une place de cinéma est inabordable. Quand tu réduis le nombre des repas pour espérer tenir jusqu'à la fin du mois, il n'est pas envisageable de dépenser le prix de plusieurs kilos de pâtes pour une seule soirée. Je souligne à ce propos que plus personne parmi les élus du peuple ne semble se soucier que les plus pauvres parmi le même peuple puissent accéder à la culture.
Bref j'étais invité, merci Nicolas, ça c'est chouette.
Le public est plutôt bourgeois et majoritairement entre 45 et 60 ans même si j'ai pu apercevoir quelques cultureux qui se reconnaissent à leur dreadlocks et à leurs vêtements de style indien mais made in Bangladesh ou à leur manière de parcourir l'assemblée d'un grand regard circulaire un peu hautain.
En attendant le début, j'ai pu écouter la conversation de ce couple plutôt âgé, disons 65 ans chacun environ, assis juste derrière moi, qui déplorait que telle famille amie soit contrainte de vendre le château suite au décès du patriarche mais qui se réjouissait juste après que les enfants aient pris la décision de se partager entre eux les cendres du père (!). Ils ont ensuite projeté de partir soit à Bali soit de passer quelques jours dans leur résidence secondaire dans le Var, la question reste à trancher.
La vie des gens a l'air passionnante.
Je vais essayer de ne pas trop dévoiler le contenu de la pièce pour que vous ayez quelques surprises inoubliables lorsque vous aurez la chance de la voir (est-il prévu d'en faire une captation ?).
J'ai senti comme un vent de malaise à l'ouverture du spectacle.
C'est à dire que là où, habituellement, une pièce de théâtre commence avec des comédiens qui sont tout de suite dans la fiction qu'ils sont chargés de porter et d'incarner tout le long, on se retrouve ici face à deux comédiens assis sur une chaise, près du premier rang, en bord de scène, légèrement de biais. Un homme (Nicolas Heredia) et une femme (Sophie Lequenne), tournant le dos à un grand espace scénique presque vide avec un sol tout blanc, s'adressent directement aux spectateurs.
Pourquoi vous êtes-là ?
Et c'est à partir du sens de cette première interrogation, brutale et frontale, que toute la pièce va jouer. Qu'est ce qui fait que vous choisissez d'aller assister à ce spectacle plutôt que de voir une autre pièce ou un match de football ? Et, une fois que vous avez déterminé votre choix, qu'est ce que ça fait de ne pas assister aux autres spectacles ou aux autres possibilités que la vie offre ?
D'ailleurs, la vie, parlons-en, est-ce qu'il faut en faire quelque chose et si oui, pourquoi avoir justement choisi cette chose-ci plutôt que celle-là ? Et puis, est-ce qu'on est vraiment libres de nos choix ? Est-ce qu'il vaut mieux tracer une ligne droite, une belle vie bien régulière et, on le suppose, confortable ou exister dans le chaos de l'imprévu permanent ?
Tout ce dialogue qui rebondit du comédien à la comédienne et réciproquement a lieu pendant que le spectacle a véritablement lieu. Parce qu'évidemment, pour une soirée réussie, il faut du spectaculaire, du surprenant, de l'imprévu. D'une chute de ballons de baudruches à quelques pétards, les évènements spectaculaires se succèdent. Chacun est annoncé à l'avance par un grand chronomètre affiché sur l'écran du fond de scène.
Si les premiers happenings provoquent un peu de suspense et d'attente, très vite, ils ont lieu dans une sorte d'indifférence générée par la répétition. Les comédiens eux-mêmes prêtant de moins en moins d'intérêt aux comptes à rebours. Les évènements étant de toute façon, en eux-mêmes, totalement dérisoires.
A grands coups d'absurdité mais également en glissant sur le terrain d'une certaine profondeur métaphysique sur ce qu'est le fait de vivre, de choisir sa vie (est ce possible ?), Nicolas Heradia crée ce que je trouve être une grande pièce. C'est pas tous les jours qu'on voit, traité par l'absurde et le syllogisme, des questions aussi importantes, tout en explosant tous les standards du théâtre lui-même.
Et vous, pourquoi avez-vous choisi de lire cet article plutôt que de faire un autre choix ?
Nota Benêt : parmi les différents surgissements inattendus,
il y a un grand chauve avec une scie sauteuse
et puis une barre de défilement du temps totalement artisanale…
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Écriture, scénographie et mis en scène : Nicolas Heredia - Avec Nicolas Heredia, Sophie Lequenne - Manipulation : Gaël Rigaud (le chauve !), Marie Robert - Production La Vaste Entreprise
*Photo (Marie Clauzade)