Il existe aujourd'hui pour vous la merveilleuse possibilité de réserver gratuitement un certain temps d'une activité qui vous a toujours fait rêver (telles qu'une conférence sur « Le capitalisme, un modèle pertinent pour l'avenir ? » d'une durée de 3 heures ou un atelier de la série "running et philosophie" par exemple « La notion d'expropriation du temps chez Guy Debord » qui est prévu pour 1 heure). En quelques clic, et parfois un peu plus si vous vous égarez dans les recoins du site, vous avez le loisir de choisir de vous consacrer entièrement à autre chose que votre quotidien.
Et surtout, je ne vous dévoile rien, c'est même le concept du truc : vous pouvez conserver toute votre légèreté et ne surtout pas stresser puisque votre activité sera quoiqu'il en soit annulée au dernier moment.
Voilà, vous avez la possibilité de réserver du temps pour ne rien faire.
J'ai découvert ce projet artistique (totalement subversif dans son époque) il y a peu et je suis tellement enthousiaste que j'ai demandé à Nicolas Heredia de bien vouloir m'en dire un peu plus.
Il est à l'origine du projet avec la vaste entreprise. Vous pouvez aussi le retrouver sur scène, suivez les liens !
Quelle a été la genèse du projet ? Quelle était l'idée de départ ?
Nicolas Heredia : l'idée est née au moment où on travaillait sur le précédent projet, un spectacle qui s'appelle « À ne pas rater », et qui propose de prendre la mesure de tout ce que vous ratez pendant que vous assistez à ce spectacle. Donc une histoire de rapport au temps, de comment on emploie notre temps – sur une journée ou sur une vie –, et comment, même, on cherche le rentabiliser, puisque nous avons quand même assez largement digéré la logique capitaliste selon laquelle il faut tout optimiser, tout le temps. Et il se trouve que j'aime bien qu'à la fin de chaque spectacle, on offre aux spectateurs et spectatrices une petite édition qui prolonge la forme scénique : un petit livre, une série de cartes postales, etc. L'idée de la Fondation est née dans ce contexte-là : on distribuait à la fin de « À ne pas rater » le petit livret qui présentait le site de la Fondation, où l'on peut s'inscrire à une activité annulée pour se fabriquer du temps libre. Parce que j'ai l'impression que tout le monde manque de temps, ou en tous cas d'un vrai temps pour soi, d'un "temps vide de qualité". Comme quand on se réjouit, au lycée, qu'un prof soit absent : ça ouvre une plage horaire inattendue, on ne sait pas ce qu'on va en faire, mais on est content de ce grain de sable dans l'enchaînement de l'emploi du temps. Et puis, je sentais que le projet allait prendre une forme très hybride, devenir un objet artistique difficile à classer, et j'aime beaucoup explorer des modalités d'écriture que je n'ai jamais explorées avant.
Et donc, vous êtes allés voir les financeurs avec un projet plutôt subversif dans le climat du moment. Quelles ont été les réactions ? Est-ce qu'il y a eu des difficultés pour trouver des financeurs ?
Nicolas Heredia : en général, je cible assez finement les recherches de partenaires : je connais assez bien les projets des théâtres ou opérateurs culturels auxquels je m'adresse et, vue la nature de mon travail, je cible en général les personnes un peu joueuses ! Heureusement, il y en a encore. Et puis il y a des lieux qui suivent et accompagnent mon travail depuis maintenant un petit moment : des fidélités se sont nouées au fil du temps. Il y a une confiance commune, une attention et une compréhension mutuelle. Et en ce qui concerne ce projet-là plus spécifiquement, il se trouve que les différents Centres nationaux des arts de la rue et de l'espace public (CNAREP), implantés dans différentes régions de France, lançaient un appel à projet intitulé "Hors Cadre", qui invite justement les artistes à imaginer un projet qui sortirait des cadres habituels – tant d'un point de vue artistique que dans leur mise en oeuvre, et dans la façon dont ils vont se frayer un chemin jusqu'au public. Ça tombait à pic. Nous avons candidaté avec La Fondation, et avons été lauréats
Comment s'est faite l'écriture "scénaristique" de tout le site ? Tout les parcours possibles de clic en clic, vous les aviez imaginés dès le départ ? (J'ai personnellement testé l'assistance téléphonique, c'est magnifique !).
Nicolas Heredia : Cela faisait longtemps que j'avais envie de travailler une écriture en arborescence, qui est un principe assez fascinant pour un auteur, parce qu'en laissant le choix à chaque étape, on doit construire une sorte de "carte géographique" de l'écriture globale. C'est assez complexe – et long ! – mais passionnant. Cela met les personnes en situation de jeu, et c'est une chose à laquelle je suis très attaché, pour tous les projets, en essayant que cela prenne différentes formes à chaque fois. Pour la Fondation, je me suis très directement inspiré de l'écriture de jeux vidéos, mais aussi des techniques de marketing. Et les deux ne sont pas très éloignés, en fait : il s'agit dans les deux cas de donner envie de poursuivre, de cliquer, de passer au niveau supérieur, avec un principe de plaisir, de progression, de cadeaux, de récompenses. Et évidemment, j'ai pris un malin plaisir à détourner les techniques du marketing pour les tordre un peu et les mettre au service d'un truc qui n'a rien à vendre. C'est un des paradoxes qui sous-tend La Fondation, et c'était en effet une envie dès le départ.
On sent bien la volonté de se moquer des techniques du marketing en ligne pour faire du clic. Sauf que sur la Fondation du Rien, c'est évidemment du clic qui ne sert à rien. Est-ce que vous avez déjà des retours de l'expérience ? Est-ce que vous en attendez des retours et quels seraient les retours idéaux ?
Nicolas Heredia : les retours qu'on commence à avoir, c'est plutôt sur l'expérience de l'activité annulée : sur le site de La Fondation, à la rubrique Témoignages, on peut lire ce que les personnes nous racontent de ce temps libéré, comment elles se sont débrouillées avec ça. Des personnes nous suggèrent aussi des choses qu'on pourrait mettre en place, et c'est assez réjouissant. D'autres prolongent à leur manière la réflexion, avec pas mal d'intelligence et de fantaisie.
Après, pour ce qui est de retours sur le site, la navigation, la hotline, on en a encore assez peu. C'est le côté un peu frustrant pour des gens comme nous qui viennent du spectacle vivant, où l'on est habitués à partager ensemble un temps commun pendant la durée d'une représentation : là nous ne sommes pas avec les personnes quand elles traversent tout ce qu'on a mis en place. Mais on va aussi proposer ponctuellement des rendez-vous de La Fondation avec des théâtres ou des centres d'art, où on sera sur place pour rencontrer les gens. Cette idée du partage, d'un moment de convergence et de rassemblement nous importe quand même beaucoup !
Et pour ce qui est de retours idéaux, je ne saurais pas dire, parce que je crois que c'est bien de ne pas présager, justement... si les gens se prennent au jeu, s'emparent du truc à leur manière, c'est déjà très stimulant et joyeux pour nous. Et ce qu'on peut dire, c'est que les personnes qui adhérent sont de très bons ambassadeurs : elles en parlent autour d'elles, partagent, font voyager La Fondation... par exemple, en décembre, pas mal de personnes ont mis des livrets de La Fondation au pied du sapin à Noël pour offrir du temps à leur proche... et ça, je dois dire que ça me réjouit assez !
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(interview réalisée en quelques jours en question/réponse par mail, merci de ta gentillesse, Nicolas ! - Crédit photo : © Marie Clauzade)
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